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Ira Chadsey et les cairns

Le vignoble porte le nom d’un des premiers colons de la région : Ira Chadsey. C’est à lui qu’on doit les quelques monticules de pierres (appelés « cairns ») qu’on voit encore à l’arrière de la propriété. Il semblerait qu’il les avait érigés pour s’en servir comme repère dans l’au-delà lorsqu’il reviendrait à la vie dans la peau d’un cheval blanc. Un siècle plus tard, on raconte toujours son histoire, d’où le nom du vignoble By Chadsey’s Cairns (« du côté des cairns de Chadsey »).

Mais ce n’est pas tout.

Des pelures d’orange en guise d’adieu

En 1905, Ira a 77 ans. À ce moment-là, sa tendre épouse, Roxey, est décédée 7 ans auparavant. Étant seule, sans héritiers, Ira choisit alors d’emprunter la magnifique allée bordée d’arbres qui mène à sa cabane à sucre pour l’ultime fois, laissant derrière lui une traînée de pelures d’orange, alors qu’il déguste son tout dernier fruit. On raconte qu’il aurait ensuite allumé un grand feu dans sa cabane à sucre, et qu’il se serait enlevé la vie avec son fusil de manière à ce que son corps soit projeté dans les flammes : il n’en est rien resté, sauf le canon en métal de son arme.

Selon les gens de la région, Ira était un brave homme et un fermier prospère. La seule photo (en noir et blanc) que nous avons de lui montre un gaillard à la longue barbe bien fournie et aux cheveux blancs ondulés, vêtu d’un costume trois pièces en laine. Lorsqu’on le regarde de plus près, on peut voir des rides gravées autour de ses yeux, formées par le rire. Il n’y pas si longtemps, nos clients riaient de sa grosse barbe hirsute, mais aujourd’hui, ils trouvent plutôt qu’Ira a l’air d’un hipster!

La raison du suicide d’Ira demeure un mystère. Était-il profondément désespéré ou possiblement très malade? Quoiqu’il en soit, sa mort porte l’empreinte d’un fermier pragmatique et autonome, qui a su terminer ce qu’il avait commencé.

Roxey sous le chêne

Nous aimons croire qu’Ira avait également un côté romantique. On dit qu’il aurait enterré sa femme sous un magnifique chêne qui pousse sur une colline à l’extrémité du domaine. En réalité, il s’agit de quatre arbres qui ont poussé très près les uns des autres : en leur centre, les branches ont formé un siège sur lequel on pouvait s’asseoir pour admirer les champs, le ruisseau sineux Hubbs Creek et le site d’origine du domaine.

Cela dit, la famille de Roxey a fini par exhumer ses restes pour les ensevelir dans la terre sacrée du pittoresque cimetière Glenwood du village de Picton. Elle y repose en paix, sous une stèle de granite rose dans laquelle le nom d’Ira a été taillé au-dessus du sien, sans sa date de naissance ni de décès.

Les cairns

L’origine des cairns s’avère tout aussi intrigante. Lors du recensement de 1871, Ira déclare qu’il est agnostique : il semble donc invraisemblable qu’il ait cru à la réincarnation. Un scénario plus plausible suppose qu’après avoir extrait de grosses pierres de ses champs chaque printemps après le gel pendant des années, Ira aurait décidé d’ériger un rempart à la fois pratique et ludique plutôt que de simplement entasser les pierres près des piquets de clôture.

Les cairns sont formés de monticules de pierres des champs d’une hauteur de 6 pi, soigneusement liés par du mortier et des supports en métal fixés sur les côtés pour pouvoir y attacher du fil. Une distance de 20 perches sépare chacun des 14 cairns qui restent et qui entourent un champ qui servait probablement d’enclos à chevaux. Certains cairns, encore intacts, font office de grandes formes ombragées près du tracé des clôtures envahies par les herbes, alors que d’autres s’écroulent, à la veille de devenir les vestiges d’un muret de pierres. D’anciens piquets de clôture en métal, rouillés et chancelants, ornés de faîteaux charmants, et des morceaux de clôture en fil de fer qui pendent, parsèment les cairns.

Il apparaît clairement que les cairns faisaient partie d’une clôture élaborée. L’anecdote du cheval blanc pourrait très bien n’être qu’une belle poétisation, du genre qui transforme l’histoire en légende.